Cours du 13 novembre 2010 – Séance 4

Enregistrement du cours du 13 novembre et extrait de Protagoras

extrait de Protagoras  (Platon) :

C’était au temps où les dieux existaient, mais où n’existaient pas encore les races mortelles. Or, quand est arrivé pour celles-ci le temps où la destinée les appelait aussi à l’existence, à ce moment les dieux les modèlent en dedans de la terre, en faisant un mélange de terre, de feu et de tout ce qui peut encore se combiner avec le feu et la terre. Puis, quand ils voulurent les produire à la lumière, ils prescrivirent à Prométhée et à Epiméthée de les doter de qualités [dunameis ], en distribuant ces qualités à chacune de la façon convenable. Mais Epiméthée demande alors à Prométhée de lui laisser faire tout seul cette distribution : « Une fois la distribution faite par moi, dit-il, à toi de contrôler! » Là-dessus, ayant convaincu l’autre, le distributeur se met à l’oeuvre. En distribuant les qualités, il donnait à certaines races la force sans la vélocité; d’autres, étant plus faibles, étaient par lui dotées de vélocité; il armait les unes, et, pour celles auxquelles il donnait une nature désarmée, il imaginait en vue de leur sauvegarde quelque autre qualité (…) En tout, la distribution consistait de sa part à égaliser les chances, et, dans tout ce qu’il imaginait, il prenait ses précautions pour éviter qu’aucune race ne s’éteignit.

… Mais, comme, chacun sait cela, Epiméthée n’était pas extrêmement avisé, il ne se rendit pas compte que, après avoir ainsi gaspillé le trésor des qualités au profit des êtres privés de raison [aloga ], il lui restait encore la race humaine [non-aloga] qui n’était point dotée [akosmeton]; et il était embarrassé de savoir qu’en faire. Or, tandis qu’il est dans cet embarras, arrive Prométhée pour contrôler la distribution; il voit les autres animaux convenablement pourvus sous tous les rapports, tandis que l’homme est tout nu, pas chaussé, dénué de couvertures, désarmé. Déjà, était arrivé cependant le jour où ce devait être le destin de l’homme, de sortir à son tour de la terre pour s’élever à la lumière. Alors Prométhée, en proie à l’embarras de savoir quel moyen il trouverait pour sauvegarder l’homme, dérobe à Héphaïstos et Athéna le génie créateur des arts [ten enteknen sophian ], en dérobant le feu (car, sans le feu, il n’y aurait moyen [amekhanon] pour personne d’acquérir ce génie ou de l’utiliser); et c’est en procédant ainsi qu’il fait à l’homme son cadeau. Voilà donc comment l’homme acquit l’intelligence qui s’applique aux besoins de la vie. Mais l’art [sophia ] d’administrer les cités, il ne le posséda pas! Cet art était en effet chez Zeus …. Dans la suite, Prométhée fut, dit-on, puni du larcin qu’il avait commis par la faute d’Epiméthée.

Or, puisque l’homme a eu sa part du lot divin, il fut, en premier lieu, le seul des animaux à croire à des dieux; il se mettait à élever des autels et des images de dieux. Ensuite, il eut vite fait d’articuler artistement les sons de la voix [phonen] et les parties du discours [onomata]. Les habitations, les vêtements, les chaussures, les couvertures, les aliments tirés de la terre, furent, après cela, ses inventions [eureto]. » Platon, Protagoras , 320d-322a

Les hommes, au début, vivaient dispersés [sporadès ] : il n’y avait pas de cités; ils étaient en conséquence détruits par les bêtes sauvages, du fait que, de toute manière, ils étaient plus faibles qu’elles; et si le travail de leurs arts leur était d’un secours suffisant pour assurer leur entretien, il ne leur donnait pas le moyen de faire la guerre aux animaux; car ils ne possédaient pas encore l’art [tekhnè ] politique, dont l’art de la guerre [polémikè] est une partie. Aussi cherchaient-ils à se rassembler, et, en fondant des cités, à assurer leur salut. Mais, quand ils se furent rassemblés, ils commettaient des injustices [étaient adikoun] les uns à l’égard des autres, précisément faute de posséder l’art d’administrer les cités [ten politikhen tekhnen]; si bien que, se répandant à nouveau de tous côtés, ils étaient anéantis. C’est alors que Zeus, craignant pour la disparition totale de notre espèce, envoie Hermès porter aux hommes l’aidô [ la pudeur, le respect, la honte- peut-être pourrions nous dire aujourd’hui le sentiment de la finitude] et la justice [dikè], afin qu’elles fussent la parure des cités [poleon kosmoï : le faire-monde des cités] et le lien [desmoi ] par lequel s’unissent les amitiés [philias sunagogoi : se rassemblent, se rapprochent]. Sur ce, Hermès demande à Zeus de quelle manière enfin il donnera aux hommes la justice et l’aidô : « faut-il que, ces tekhnaï aussi, j’en fasse entre eux la distribution [nenemestai] de la même façon qu’ont été distribuées [neimô] les autres techniques ? Or, voici comment la distribution s’en est faite : un seul individu, qui est un spécialiste de la médecine, c’est assez pour un grand nombre d’individus étrangers à cette spécialité; de même pour les autres artisans [demiourgoï]. Eh bien! la justice et l’aidô, faut-il que je les établisse de cette façon dans l’humanité ? ou faut-il que je les distribue indistinctement à tous ? – A tous indistinctement, répondit Zeus, et que tous en aient leur part! Il n’y aurait pas en effet de cités, si un petit nombre d’hommes [oligoï ], comme c’est par ailleurs le cas avec les autres techniques, en avaient leur part. De plus, institue même, en mon nom, une loi, au terme de laquelle il faut mettre à mort, comme s’il constituait pour la cité une maladie, celui qui n’est pas capable de participer à l’aidô ni à la justice. » Protagoras , 322a-322e

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